- BLOOMSBURY (GROUPE DE)
- BLOOMSBURY (GROUPE DE)BLOOMSBURY GROUPE DECénacle d’intellectuels et d’artistes liés à Cambridge, coterie d’esthètes londoniens ou confrérie secrète, le groupe de Bloomsbury fut une nébuleuse insaisissable qui, pendant les dix années précédant la Première Guerre mondiale, eut une influence déterminante sur la vie culturelle anglaise. Littérature, biographie, peinture, économie, sciences sociales, politique, journalisme, peu de domaines lui échappèrent.Le noyau originel fut un petit groupe d’amis, tous étudiants à Cambridge entre 1899 et 1904: Leonard Woolf (1880-1969), Lytton Strachey (1880-1932), John Maynard Keynes (1883-1946), Clive Bell (1881-1964), Thoby Stephen (1880-1906). Certains d’entre eux appartenaient à la société très exclusive des Apôtres, qui avait compté parmi ses membres de grandes figures victoriennes. Le groupe se constitua vraiment en 1904 lorsque le clan de Cambridge se réunit régulièrement dans le quartier de Bloomsbury, chez Vanessa Stephen (1879-1961) et sa sœur Virginia (1882-1941), lesquelles allaient épouser respectivement Clive Bell et Leonard Woolf. À ce cénacle vinrent s’adjoindre les peintres Duncan Grant (1885-1978) et Roger Fry (1866-1934), et plus épisodiquement le romancier et journaliste Desmond MacCarthy (1877-1952). Bien qu’ils ne lui appartiennent pas, on trouvera aussi dans la mouvance du groupe les romanciers E. M. Forster (1879-1970) et Aldous Huxley (1894-1963), le philosophe Bertrand Russell (1872-1970), le poète T. S. Eliot (1888-1965).Loin de tous manifestes, théories ou systèmes, le groupe de Bloomsbury ne constitua jamais une école mais dessina plutôt une constellation d’individualités exceptionnelles. Une influence commune les unissait, celle des Principia Ethica (1903) du philosophe George Edward Moore (1873-1958). C’est dans son éthique intuitionniste, qui privilégie les cas particuliers aux dépens de la théorie, que les membres du groupe puiseront leur attachement aux relations personnelles et leur conviction que le sens du beau est une voie privilégiée vers la vie morale. Tous furent animés par un même refus de l’utilitarianisme benthamien, de la morale sociale victorienne et plus généralement de tous les tabous sexuels ou religieux du XIXe siècle. Cette irrévérence un peu iconoclaste les fit parfois accuser, par exemple par D. H. Lawrence et Wyndham Lewis, d’être des esthètes grands-bourgeois qui profitaient de leurs privilèges tout en affirmant leur différence.C’est dans l’art du roman, avec Virginia Woolf et E. M. Forster, que leur influence semble avoir été la plus déterminante. Mais les peintres du groupe, Vanessa Bell, Duncan Grant, et surtout Clive Bell, avec son concept de la significant form dans l’œuvre d’art, jouèrent aussi un rôle important. Roger Fry organisa en 1910 et en 1912 deux expositions de peintres post-impressionnistes (Cézanne, Gauguin, Van Gogh) qui eurent un large impact sur le public anglais. Lytton Strachey transforma l’art de la biographie avec Victoriens Eminents (1918). Revendiquant la liberté de remodeler son matériau, il éclaira d’une lumière irrévérencieuse, souvent démystificatrice, les grandes figures victoriennes et gagna rapidement la faveur du grand public. Leonard Woolf apporta au groupe le socialisme pragmatique de la Fabian Society dont il était membre (tout comme H. G. Wells et G. B. Shaw). Dans ses écrits de politique internationale il défendit inlassablement les valeurs d’un humanisme de gauche en face de la montée des fascismes. Il créa en 1917 avec sa femme Virginia la Hogarth Press qui se distingua vite par la qualité des ouvrages publiés. Quant à J. M. Keynes, il fonda avec sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) une doctrine économique qui, contrairement au libéralisme classique, préconisait l’intervention de l’État sur les lois du marché.Après la Première Guerre mondiale le groupe avait cessé d’exister en tant que tel, mais il continua longtemps à essaimer dans la vie intellectuelle anglaise. Malgré ses limites, l’«esprit de Bloomsbury» fut, par sa diversité multiforme, un creuset extraordinairement vivifiant dans une Angleterre qui commençait tout juste à s’affranchir du poids de l’ère victorienne. (À consulter: Quentin Bell, Bloomsbury , Weidenfeld and Nicolson, Londres, 1968; Leon Edel, Bloomsbury, a House of Lions , Penguin, Londres, 1981; David Gadd, The Loving Friends: a Portrait of Bloomsbury , The Hogarth Press, Londres, 1976.)
Encyclopédie Universelle. 2012.